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Force est de constater que la culture est de plus en plus souvent réduite à une fonction utilitariste sensée garantir une « amélioration sociale » et une « régénération urbaine », et que les relations entre institutions, pourvoyeurs de fonds, politiques et artistes atteignent un taux d’intrication tel qu’il devient difficile de les démêler. L’artiste britannique Chris Evans (1967, East Yorkshire) s’amuse des connivences entre les milieux des affaires, de la politique, de l’art et de la culture en cherchant à agir au sein même du cadre flou créé par cet enchevêtrement, pour y examiner de l’intérieur les relations en jeu tout en tentant d’en inverser certaines.
Chris Evans joue ainsi souvent des rôles de consultants. Dans le processus de Radical Loyalty (2007 – en cours), il s’est doté d’un tel rôle dans le but de créer un parc public de sculptures dans un terrain qu’il a lui-même acquis dans une ville industrielle d’Estonie. Il a invité des directeurs généraux de plusieurs entreprises internationales à imaginer la « forme » que pourrait prendre leur vision d’une « loyauté radicale » et d’en proposer une esquisse, un dessin ou un schéma. En collaboration avec ces directeurs, Evans a traduit leurs propositions, mêlant idéologie d’entreprise, discussions personnelles et imaginaires, en représentations visuelles tridimensionnelles. Par la suite, ces projets donneront lieu à des sculptures réalisées par des artisans estoniens ayant construit des monuments de l’époque soviétique. La réalisation du parc de sculpture deviendra pour Evans un terrain de tension et de lutte entre les idéologies lentement ancrées dans le passé communiste de l’Estonie et l’assaut galopant de l’économie globale incarnée par ces œuvres d’entrepreneurs. Evans met surtout en exergue la fragilité (voir l’absurdité) des procédés – souvent invisibles – nécessaires à la création d’une œuvre et à son exposition publique.
La plupart du temps, le travail de Chris Evans évolue à travers des conversations avec des personnes sélectionnées en fonction de leur vie publique ou de leur rôle symbolique; les directeurs d’une maison de Champagne, les membres de commissions artistiques, des professeurs, des policiers, des juges, un ancien membre des Constructivistes anglais, le directeur général d’une compagnie pharmaceutique, d’anciens politiciens italiens, des paysans, etc. Les projets de l’artiste opèrent souvent sur la ligne de faille de ces relations, en évoquant d’une part d’anciens systèmes de soutiens et de patronage, et en insérant d’autre part de nouveaux protocoles ou procédés dans les systèmes existants. Si Evans dit ne pas apprécier la collaboration – il s’agit d’un rôle que l’artiste « endure » –, il le place au centre de son travail artistique. Le fait d’endosser un rôle qui lui est antipathique est une clef de compréhension de son travail. Il met en jeu les forces d’une culture presque entièrement instrumentalisée et celles du désir d’autonomie de l’auteur et de l’œuvre. Ses scénarios bureaucratiques attirent l’attention sur les mécanismes de la production culturelle en encourageant les participants à reconsidérer leurs rôles personnels dans ces réseaux d’échanges. Collaboration, consultation et négociation sont les compétences que les artistes doivent aujourd’hui intégrer et incarner. Evans pose ces processus comme le thème et le lieu même de son travail, même lorsque ses œuvres ne sont que lointainement inspirées de ces rencontres.
On comprend mieux sa relation ambivalente au processus de collaboration lorsqu’on observe la forme des œuvres exposées en considérant ce qui n’est ni montré ni révélé. Les installations, peintures à l’aérographe et autres sculptures résultent souvent d’échanges entre artiste et collaborateur spécifique (un consultant qui choisirait lui-même son client) mais les « solutions » qui sont recherchées restent souvent énigmatiques et obscures. Aussi, les œuvres exposées d’Evans ne ressemblent pas à de la documentation. Elles semblent fonctionner comme des œuvres en soi, formellement très réussies, minutieusement exécutées. Elles reprennent ainsi les codes esthétiques contemporains sans les parodier frontalement. Paradoxalement, cette nouvelle ambiguïté semble renforcer l’aspect politique de son travail, puisque Evans parvient ainsi à échapper à la tendance actuelle qui veut que toute position critique soit immédiatement assimilée et, par là, vidée de son sens.
A l’occasion sa première apparition en Suisse, Chris Evans propose une exposition pour laquelle il n’a pas manqué de s’immiscer dans les méandres politiques et institutionnels neuchâtelois. Sous le titre énigmatique de Village Lawyer (qui cache comme il se doit une référence non dite), Chris Evans présente au CAN une série d’œuvres dont la plupart ont été pensées et réalisées pour cette exposition. Par ailleurs, deux projets (au sujet desquels nous garderons une certaine discrétion) prendront place dans d’autres emplacements de la ville.
Par ailleurs, Chris Evans donnera un concert avec son groupe Concert (Chris Evans, Morten Norbye Halvorsen, Benjamin Seror) à la suite du vernissage, dans la cave du CAN.
Opening Friday May 25 2018
Exhibition from May 26 to July 7 2018
During the opening, 21h00:
Concert (Chris Evans, Morten Norbye Halvorsen, Benjamin Seror)
+ Dj set: Joe la Noïze
Closing event Saturday July 7 at 18h
Arthur de Pury, Marie Villemin, Martin Widmer, Marie Léa Zwahlen, Julian Thompson, Sylvie Linder
CAN Centre d’art Neuchâtel, Village Lawyer