Date I just truly want to listen to you and myself genuinely, please doudou

19.03 – 14.04.2024

Projet Projet

I just truly want to listen to you and myself genuinely, please doudou

Prix d’art Kiefer Hablitzel | Göhner 2023

 

Jeanne Jacob (*1994, Biel/Bienne), écrit, performe et peint.

Les fables à l’huile de Jeanne Jacob racontent le potentiel de tensions et de contradictions que contiennent les affects, et tentent de dépeindre des émotions pour lesquelles il n’existe parfois pas encore de mots. Ses personnages dialoguent à la lisière entre théorie et pratique, là où les idéaux se confrontent à l’expérience du réel, plus redoutable et plus ambiguë.

L’artiste a une méthode de travail intuitive, proche du glanage. Elle se laisse guider par sa peinture. Ne prévoyant pas la composition à l’avance, elle procède par couches, qu’on peut parfois apercevoir dans la version finale. Grâce à l’huile, l’aérosol et le graphite, elle alterne les textures, les couleurs et les transparences. Les deux toiles centrales de cette exposition sont peintes sur un fond de couleur laissé brut par endroits, ce qui leur donne un ton rosé.

L’exposition est pensée avec de l’espace pour les silences et l’écoute. Ainsi, des tableaux de petit format gravitent autour des deux toiles majeures comme des satellites et tissent des liens esthétiques et narratifs. Sans chercher à les hiérarchiser, Jacob mélange les styles et les références; les protagonistes des toiles peuvent être tour à tour des êtres fantastiques (des doubles-têtes, des monstres, des bestioles (1)), des plantes, des humains ou des animaux. Iels sont dotéex de visages expressifs dont les traits empruntent aux comics, au dessin réaliste ou à l’esquisse.

Les peintures de Jacob se déroulent hors du temps, à la manière des rêves. Plusieurs personnages calmes se trouvent au bord d’un étang (2). Et devant elleux, dans l’eau, deux corps font du sexe, ou de la tendresse, ou de la drague. À leur gauche, se trouve une horde de fourmis avec des têtes de mort et un oiseau qui chante, comme pour lancer l’alerte du danger qui les menace, hors du cadre, là où le ciel est déjà sombre. L’ambiguïté règne, dans la peinture de Jacob; des sentiments à première vue contradictoires s’entrelacent et une porosité est perceptible entre différents objets animés ou inanimés (3). À l’instar – il y en a d’autres – de la main du personnage qui nous regarde et qui se transforme presque en feuille, dans une relation de mimétisme avec ce qui l’entoure.

Là où les canards coiquent (4) est influencée par une lecture, le prêche d’Olamina dans La Parabole du Semeur de Octavia E. Butler (5): “All that you touch, You Change. All that you Change, Changes you. The only lasting truth is Change. God is Change”. Jacob s’attache alors à traduire l’impermanence des états émotionnels des personnages représentés, et ceci également dans la technique d’une peinture qui se fond, qui se superpose et qui fait cohabiter des réalités distinctes (6). Plus autobiographique ou intime, glanant parfois dans ses propres expériences, l’artiste représente son chat sous forme humaine, sa famille choisie caricaturée, sa relation ambivalente à son statut d’artiste et son propre désir amoureux avec auto-dérision.

Or, Jacob insère presque toujours des drôleries ou du ridicule dans les titres ou dans sa peinture. Elle assied le dégueulasse et l’attendrissant à la même table et passe rapidement d’un ton très sérieux à un ton plus léger. Ainsi le titre du petit tableau C’est toi la grande bouffe (7) qui rappelle l’hédonisme et la drague, côtoie Vieux os (8) qui dépeint le refus d’enfanter dans un monde dystopique; ou encore, un peu plus loin, un personnage joue avec nos attentes et pose ses seins sur le rebord du cadre (9).

I just really want to listen to you and myself genuinely, please doudou est une invitation à créer du dialogue et dire vraiment. À écouter de manière honnête. Et à réfléchir à l’effort d’imagination, d’attention, d’empathie que requiert la construction de réalités plus souhaitables dans un monde qui ne nous ressemble pas. Enfin, lorsque ces tentatives sont pathétiques et fracassées, l’humour est utilisé pour désarmer.

U.U. (10)

Neuchâtel, janvier 2024

 

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(1) Looking Back, huile sur carton entoilé, 24×18 cm, 2023

(2) Au bord de l’étang, huile, aérosol et graphite sur toile, 270×310 cm, 2024

(3) Nachkommen, huile sur carton entoilé, 24×18 cm, 2024

(4) Là où les canards coiquent, huile, aérosol et graphite sur toile, 270×310 cm, 2024

(5) Octavia E. Butler, La parabole du semeur (titre original: Parable of the Sower, 1993), éd. J’ai lu, 1995

(6) C’est aussi le cas dans: En comptant les moutons, huile, graphite et vernis sur carton entoilé, 30×24 cm, 2024

(7) C’est toi la grande bouffe, huile et graphite sur carton entoilé, 30×24 cm, 2024

(8) Vieux os, huile sur carton entoilé, 30×24 cm, 2024

(9) Waiting at the Window, huile sur carton entoilé, 24×18 cm, 2023

(10) U.U. est un collectif anonyme à géométrie variable qui considère que l’anonymat est un outil puissant.

 

Lancement du livre Tu vois je m’occupe de tes oignons
Mercredi, 27.03.24, 18h
avec une performance de Beatrice Beispiel, 20h

Équipe du CAN:
Martin Jakob, Sylvie Linder, Nicolas Raufaste, Liza Trottet, Sebastian Verdon