Projet Projet
Certains pensent que les fameuses peintures de mains réalisées en pochoirs sur les murs des grottes préhistoriques sont la trace de rituels de surfaces… Ceux-là auraient visé, par le geste, plan contre plan, peau contre paroi minérale, à se relier au “mondeautre”. Cette hypothèse ésotérique a l’avantage de questionner nos rapports aux surfaces, déterminés par une pensée dualiste qui oppose fatalement la surface à l’essence, le corps à l’esprit, l’extérieur à l’intérieur, dévalorisant celles-ci au profit d’une certaine profondeur. La tendance à croire que crever la surface des choses permet de voir ce qui se cache derrière est déceptive; aucune intériorité n’est préservée de l’extérieur, il demeure des différences de densité, des épaisseurs relatives qui relèvent de la sensation et de la perception. Par ailleurs la peau procède d’un développement embryonnaire commun avec le système nerveux central, soit la réunion du profond et du superficiel dans sa genèse même… le toucher semble précéder l’ensemble des sens, et s’ériger en langage si immédiat et empreignant qu’il peine à être saisi.
Les artistes de l’exposition se livrent autant aux jeux des apparences qu’à révéler les peaux et tout ce qu’on nomme surfaces comme des connecteurs, des interfaces, des modes de circulation d’information. A travers des approches très différentes, ils et elles présentent des objets à la fois familiers et surréalistes, dont l’étrangeté remet en jeu notre perception de ceux-ci jusqu’à ouvrir les possibilités poétiques de leur fonctions et usages. Les œuvres exposées questionnent la nature et le traitement de la surface, la peau, la membrane, la page, l’écran, leur perméabilité ou imperméabilité, leur inscriptions, distorsions ou encore leurs blessures.
Alessandro Agudio est un jeune artiste italien basé à Milan. Il a exposé dans des centres d’art et des galeries tant en Italie qu’à l’étranger (Londres, New York et Paris). Agudio s’inspire de son environnement direct et en particulier du fitness dans lequel il travaille depuis longtemps. Dans un fitness, nous trouvons systématiquement les mêmes objets et les mêmes aménagements: un bar, un solarium, des chambres équipées de grands miroirs et de bons systèmes audio, de nombreuses plantes ainsi que sur les murs des faux tableaux abstraits et des images numériques lisses et colorées. Ce sont, en effet, ces éléments que l’on retrouve rejoués de façon mystérieuse dans l’œuvre d’Agudio. L’artiste porte aussi une grande attention sur le rendu des surfaces de ses objets. Souvent, celles-ci sont peintes en faux marbre ou en simili-pierre ou en d’autres matières pseudo-naturelles. Quand Agudio parle de ses œuvres, il relève le fait que si elles semblent dans un premier temps séduisantes, la pauvreté de leurs matériaux, ainsi que le vide de leurs structures se révèlent rapidement au spectateur. Agudio va alors jusqu’à parler de piège ou de trompe-l’œil pour décrire l’effet de son travail sur le spectateur.
Dans l’exposition, Agudio présente plusieurs pièces dont Konturella, une sorte de plateforme peinte en faux marbre rose sur laquelle sont installés plusieurs objets dont, par exemple, une petite plante de décoration ainsi qu’une sculpture stylisée d’un chat. Nous pouvons encore y trouver, posée à plat, une forme moulée, qui fait vaguement penser à un évier ou à une partie d’un squelette d’un animal imaginaire sur laquelle est disposé un haut-parleur. Konturella diffuse dans l’espace une musique pop digitale, une sorte de musique de supermarché. Pour plusieurs raisons, cette œuvre est représentative du travail d’Alessandro Agudio. Cet objet, cet agencement multimédia, semble résumer à lui seul, non seulement le design kitsch que l’on retrouve partout mais aussi et paradoxalement toute la poésie, l’humour et l’imagination de l’artiste.
Si Agudio porte un regard cruel sur l’industrie du bien-être et de l’apparence, c’est aussi un artiste qui a décidé de s’approprier son environnement et de le transformer en quelque chose d’autre. Parfois aussi, simplement, il nous rappelle que si les surfaces sont à priori plates et sans profondeur, sur elles peuvent se projeter, pour ceux qui savent y regarder de plus près, d’infinis jeux de perspectives.
Sarah Ancelle Schönfeld (1979) a étudié à l’Université des Arts Visuels de Berlin. Elle a exposé à l’international, notamment en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, au Brésil, et au Japon. L’artiste vit et travaille actuellement à Berlin. La vaste pratique de l’artiste englobe la sculpture, la performance, l’installation et la photographie. Elle étend les limites de l’esprit et du matériel, explore les liens entre l’humain et la nature, la spiritualité et l’espace, le cerveau et le corps. L’artiste s’inspire aussi bien du perspectivisme indigène que de la dimension spirituelle de la science et de la technologie. Schönfeld élabore divers scenari qui questionnent, parfois jusqu’à l’absurde, la production de la vérité et du savoir, qui constituent et reproduisent notre être dans le monde.
Pour l’exposition au CAN, Schönfeld présentera des pièces qu’elle associe à divers corpus d’œuvres regroupées sous le terme de Devices, Oracles, et Labs. Les Devices sont des objets improbables et rusés, des assemblages machiniques d’objets de tous les jours qui associent la technologie et la magie. Avec ses Oracles, et ses Labs, l’artiste crée des systèmes basés sur le détournement de concepts et techniques existants. Elle ouvre ainsi différentes perspectives possibles à la réalité ainsi qu’à la dimension métaphysique des machines.
Parmi les pièces qu’elle présentera dans l’exposition, Sarah Ancelle Schönfeld crée une nouvelle version de l’installation Serpent Ritual. Ce travail renvoie aux rituels traditionnels liés au serpent – présents dans chaque culture, le serpent symbolisant autant le danger que la guérison. Pour Schönfeld, “l’esprit”, qui étymologiquement se réfère au souffle, a perdu son sens profond, puisqu’aujourd’hui l’être humain est immergé dans le règne des machines et non plus celui du vivant. Dans ce travail, Schönfeld utilise une mue de serpent et l’anime littéralement en la connectant à une version machinique du vent/souffle.
Heike-Karin Föll (1967) est diplômée de la Staatliche Akademie der Künste, Stuttgart, de la Freie Universität Berlin, et de l’Universität der Künste Berlin. Elle a exposé dans de nombreuses villes, à New York, Berlin, Zurich, Bâle, ou encore Montréal.
Föll réalise des peintures, livres, dessins, collages et installations. La grande finesse, voire la discrétion des œuvres, est sans doute corrélative à la modestie des moyens utilisés, notamment la page et le papier. Les objets sont reliés entre eux par des réfé- rences et allusions, le texte circule entre les œuvres, issu de journaux de bords, notes, griffonnages, esquisses, mots typographiés, collecte d’impressions, de poèmes, images, découpages, passages préférés de romans, extraits de lettres, scans, protocoles de rêves, textes théoriques… Ces éléments labiles s’associent dans une logique de constellation.
Les œuvres présentes dans l’exposition sont des collages, dans lesquels Föll associe diverses références historiques au monde ordinaire et intime du quotidien. Elle parvient ainsi à transcender le poids de l’autorité de ces références, qu’elle allège aussi par la délicatesse des pièces. L’habileté de l’artiste à capter et archiver ces dimensions coexistentes est fondamental dans son travail (elle s’attache à relever la présence de l’art incorporé dans le quotidien; Föll enseigne par ailleurs l’embedded art à Berlin).
L’artiste crée un jeu de tension entre le dévoilement de références littéraires et artistiques et d’autre part la retenue d’information. Quel niveau d’intimité l’artiste entretient à son œuvre? Les travaux de Föll s’immiscent entre l’intérieur et l’extérieur, entre ce qu’on peut savoir ou ne pas savoir d’un(e) artiste ou d’une œuvre, ce qu’il (elle) révèle et ne révèle pas. Peut-on pénétrer le sens de l’œuvre ou plus largement l’esprit d’une personne, ou n’effleure-t-on qu’un système instable de connexions?
Cécile Krähenbühl est une jeune créatrice de mode suisse romande. A l’invitation d’Anne Minazio, de l’espace d’art genevois HIT, elle a confectionné des couvertures ayant comme motifs et références des œuvres et des expositions de HIT. Ces couvertures réalisées à la main, et faisant appel à différentes techniques de couture artisanales représentent avec une grande liberté des scènes de vernissage et des installations d’œuvres. Depuis, ces couvertures sont utilisées la plupart du temps par l’espace d’art, pour couvrir des bancs sur lesquels les spectateurs peuvent s’asseoir.
La couverture est un espace, une surface spécifique. C’est tout d’abord une surface qui se module et qui prend selon les situations divers aspects. La couverture peut être mise à plat sur un lit, elle peut se voir pliée dans une étagère, elle peut couvrir une partie d’un meuble soulignant sa forme, et son volume. On peut aussi la voir épouser les formes d’un corps, suivant alors les mouvements et les ondulations de celui-ci. On peut encore la voir flotter, comme dans l’exposition du CAN. La couverture est un objet-surface fluide et mou qui nous rappelle la peau.
Représenter des images d’expositions et d’œuvres sur un support tel que la couverture est intriguant. Cette situation permet d’évaluer la suite de jeux de surface qui s’opère dans les centres d’art et dans l’art en général. Les expositions de HIT se juxtaposent, s’additionnent, dans la vision du spectateur, à l’exposition du CAN, plaçant ainsi celui-ci face à une multitude de couches spatiales et temporelles.
Vernissage le vendredi 9 juin 2017
Exposition du 10 juin au 9 juillet 2017
MUSIQUE D’ASCENSEUR
Performance
the ionic south
CONCERTS ET PERFORMANCES
programmés par Maud Pollien
Avec: Sable Mouvante, Ly Neyün, Tresque, et AVA
Arthur de Pury, Marie Villemin, Martin Widmer, Marie Léa Zwahlen, Julian Thompson, Sylvie Linder
CAN Centre d’art Neuchâtel, Keep Being Touched