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La psychologie des serrures

Commissariat par sans titre (2016) en collaboration avec l’équipe du CAN

Il est toujours question au CAN Centre d’art Neuchâtel de proposer de nouvelles expériences aux visiteur·euse·s, qu’il s’agisse de dévoiler le corpus inédit d’un·e artiste, de soumettre des expérimentations curatoriales ou encore d’interroger le format traditionnel de l’exposition.

A cet effet, l’équipe du CAN a invité Sans titre (2016), galerie parisienne qui prit autrefois la forme d’un project space nomade, investissant des espaces domestiques et des lieux cachés, secrets. Cette carte blanche s’étend à une surface en particulier, celle de l’appartement du CAN, situé dans l’immeuble adjacent au centre d’art et qui reçoit habituellement les artistes et commissaires invité·e·s. Pour la première fois, il sera ouvert au public. Cet exercice permet de se confronter à la longue tradition des expositions dans des univers domestiques, des émerveillements et surprises qu’elles réservent aux visiteur·euse·s.
Pensée il y a plus d’un an et initialement programmée en avril 2020, cette exposition prit un tout autre sens ces derniers mois lorsque les artistes participant·e·s, et avec eux plus de la moitié de l’humanité, furent confiné·e·s pendant de longues semaines à leur domicile. Si la maison, le home sweet home, était déjà «notre coin du monde» ainsi que l’écrivit Gaston Bachelard, à qui est emprunté le titre de cette exposition, elle est devenue du jour au lendemain notre cosmogonie.

La maison est intrinsèquement liée à la nature humaine, son image fait d’ailleurs souvent l’objet de comparaisons psychologiques: les étages représenteraient l’accumulation des expériences qui jalonnent une vie, le rez-de-chaussée caractériserait l’éducation, les éléments fondateurs de la personnalité tandis que les fondations, les caves, seraient le reflet des profondeurs de l’âme, telles que les qualifiaient Jung.

Sans titre (2016) a confié à chacun·e des artistes ou groupes d’artistes invité·e·s son propre espace, une chambre à soi. De la chambre à coucher à la salle de bain, du jardin à la cuisine, cette exposition se construit ainsi comme une multiplicité de petites expositions personnelles. Certain·e·s artistes ont respecté la destination originelle des pièces, d’autres l’ont travestie, tou·te·s ont privilégié un rapport intime aux œuvres, plaçant l’expérience du·de la visiteur·euse au cœur de leur propos. La maison est aussi le lieu privilégié du souvenir. C’est souvent là qu’on les crée, notamment enfant, et c’est presque toujours là qu’on les stocke – les albums de photos de famille, les cartes postales reçues, les tickets d’une séance de cinéma précieusement conservés…
De ces souvenirs et expériences parfois contradictoires ont émergé des propositions diverses. Certain·e·s des artistes ont choisi d’évoquer une période de la vie, et laissent deviner le fantôme d’une chambre d’adolescent·e, la solitude et les questionnements du refuge à l’âge adulte. D’autres encore, dressent l’éventail des rapports que l’on peut entretenir au lieu de vie: il est parfois celui de tous les dangers – la plupart des accidents sont domestiques – mais surtout celui du réconfort et de l’hospitalité. La maison est également l’endroit privilégié de la cellule familiale et c’est en son sein qu’ont lieu la plupart des interactions sociales de ses membres, joyeuses ou funestes.

Les nombreux rituels qu’implique le foyer ont été largement évoqués, on y reproduit chaque jour des habitudes rythmées, codifiées. Celles-ci sont parfois symptomatiques des enjeux de pouvoir qui s’exercent au sein du foyer, notamment sur les femmes qui héritent encore pour une large part de la charge domestique. Enfin, certain·e·s ont choisi de parler de l’absence d’un lieu à soi et du déracinement qu’elle implique.
Pour tou·te·s, un même constat cependant: «la maison abrite la rêverie, protège le rêveur et nous permet de rêver en paix». Marie Madec

Avec le soutien de l’Ambassade de France en Suisse.

Équipe du CAN:
Martin Jakob, Sylvie Linder, Magali Pexa, Nicolas Raufaste, Liza Trottet, Sebastian Verdon