Date Midi et Demi

14.02 – 23.03.2014

Projet Projet

Midi et Demi

Pour la première exposition de l’année, le CAN invite trois artistes qui s’intéressent aux traces laissées par différents idéaux européens au cours des derniers siècles; et au-delà, à la conscience historique ambiguë que notre société entretient face aux utopies qu’elle a engendrées. De la construction du paysage romantique aux archétypes architecturaux modernistes, en passant par l’élan communautariste du mouvement Art and Crafts, les références historiques des œuvres formant l’exposition s’effacent lentement devant la question de l’après, c’est-à-dire de notre position présente face à ces mouvements qui étaient tournés vers le futur, à des moment où la lumière ne pouvaient être que zénithale. Retour sur les ombres que provoque aujourd’hui la lumière crue de ces périodes parfois perçues comme crépusculaires. Des zones d’ombres qui mettent en valeur le jeu aussi physique que métaphorique entre le plein et le vide, la présence et l’absence, que l’on retrouve au centre de chacune des œuvres présentées dans Midi et demi.

Dans sa série LS, l’artiste allemande Beate Gütschow s’inspire directement des codes de la peinture des 17e et 18e siècles. Elle utilise la photographie à la manière d’un peintre. Loin de l’abstraction par cadrage, propre à la photographie, elle réalise une image par collage informatique de fragments de photographies prises préalablement en argentique, utilisant parfois jusqu’à cent éléments différents. En retrouvant ainsi la liberté des peintres, elle compose des paysages romantiques qui sont de véritables constructions de réalités idéalisées, de lieux qui n’existent pas, littéralement d’utopies. L’étrange beauté des œuvres de Gütschow provoque une attirance immédiate qui contraste avec le sentiment d’étrangeté inconfortable qu’elles finissent par installer. Ses paysages interrogent notre relation à un passé lui-même idéalisé, mais également l’évolution de la construction idéologique de la nature. Rappelons par exemple que la peinture romantique allemande, en imaginant des paysages idéaux, a permis la représentation d’un territoire et a ainsi participé à l’essor du nationalisme allemand. De nos jours la construction de la nature ne représente sans doute pas un enjeu moindre.

Fasciné par les visionnaires et les communautés utopistes qui cherchent à créer leur propre relation au monde, l’artiste anglais David Thorpe s’est entre autre intéressé au mouvement Art and Crafts, précurseur britannique de l’art nouveau. A la fin du 19e siècle, la révolution industrielle engendre une nouvelle organisation sociale dans des environnements urbains fortement impactés. Le travail en usine dégrade les conditions de vie, comme de créativité des individus. Des communautés d’artistes-artisans cherchant à réhabiliter le travail fait main quittent alors les villes pour s’installer plus près de la nature, dans un environnement «sain». Selon leur idéal créatif, l’art devait s’infiltrer partout, dans toutes les maisons, en devenant partie intégrantes des objets usuels. Dans une série d’œuvres atypiques, Thorpe reprend certaines des techniques et des thèmes de l’époque pour créer des hybrides, à mi chemin entre objets décorés de motifs répétitifs et art minimal. Ces œuvres laissent une forte impression d’anachronisme qui convoque une réflexion renouvelée sur les liens toujours supposés entre art, idéal et utopie.

L’exposition laisse enfin une grande place à l’artiste belge Renato Nicolodi, dont le travail est présenté en Suisse pour la première fois. Son œuvre plastique est d’une grande rigueur et d’une précision géométrique tranchante. Ses dessins et rendus informatiques, tout comme ses sculptures parfois imposantes, font référence à des archétypes de l’architecture monumentale comme en attestent les titres de ses travaux: Mausoleum, Cenotaaf, Deambulatorium, Observatorium, Atrium, Panopticon, … Ce catalogage austère lui permet de souligner la réitération à travers l’histoire de ce type d’architecture: de l’Antiquité aux créations visionnaires du 18e néo-classique d’Etienne-Louis Boullée et de Claude-Nicolas Ledoux, jusqu’aux réalisations du modernisme, puis des délires du gigantisme totalitaire. C’est sans doute cette dernière référence qui provoque un effet magnétique et inconfortable à la vue des œuvres de Nicolodi. Le vertige de cette première impression est accentué par les signes ambigus d’atemporalité et de durée que nous imposent ces sculptures, à travers une recherche sans cesse réitérée d’un autre lieu pour l’homme. Les effets de clair-obscur, de contraste entre espaces ouverts et fermés, accessibles ou suggérés finissent pas nous convaincre de notre propre absence aux espaces que ces monuments ont cherchés à mettre en place. Il est midi et demi depuis longtemps déjà.

 

Vernissage le 14 février 2014

Exposition du 15 février au 23 mars 2014

 

Équipe du CAN:
Arthur de Pury, Marie Villemin, Martin Widmer, Marie Léa Zwahlen, Julian Thompson