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Le monochrome est la peinture ultime, dixit Steven Parrino.
On peut s’étonner d’une telle remarque de la part d’un artiste qui troue ses propres monochromes, les déchausse et même en vient à les détruire. La pièce intitulée Self mutilation bootleg est également paradoxale au vu de ce commentaire. En effet cet amas de peintures partiellement détruites consiste en d’anciennes toiles repeintes en noir brillant, puis lacérées, coupées à la scie circulaire, piétinées et placées épars contre un mur. Et cela ne s’arrête pas là. Il faudra encore réduire en petits morceaux ces pirates (bootlegs) et les jeter aux ordures; tandis que les photos prises lors de cette étape seront, elles, utilisées pour un travail ultérieur. Ainsi ce qui nous est proposé n’est qu’un instantané d’une action déjà commencé et pas encore finie.
Il n’en reste pas moins qu’il reste difficile de comprendre la relation entre l’aspect ultime du monochrome et cette attitude destructive. C’est qu’il ne s’agit peut-être pas forcément de destruction. Que faire quand on a atteint les limites d’un univers tel que celui de la peinture? Peut-être comme Steven Parrino faire de cette frontière ultime que sont les monochromes des sujets d’expériences en les soumettant à ses actions – le monochrome et sa perfection figée devenant le support du passage de l’action. Le biologiste ne procède pas autrement. Il prend l’organisme le plus pur possible afin d’obtenir les meilleures réactions aux substances injectées. Ainsi la démarche de cet artiste n’est pas une simple provocation et elle n’est pas non plus une autocritique – même si cette dernière n’est pas absente de manière ironique. Steven Parrino continuera donc à peindre des monochromes pour y injecter une dose de sérum actif.
Mais cet intérêt pour l’action est récurrent dès ses premiers travaux. À la fin des années septante, des performances telles que déclencher l’alarme incendie en plein vernissage ou effectuer un duel avec des guitares électriques provoquant des complaintes stridentes ou encore produire un vacarme de rifts durant juste dix secondes, le temps d’abasourdir le public d’un vernissage et puis silence sont habituelles, chez Steven Parrino. Déjà, l’artiste semble se mettre en porte à faux contre ce qui est figé afin de mettre en valeur l’instant où, ce qui semble désespérément statique, est brusquement secoué, dérangé, mis en déséquilibre.
Cependant son travail ne s’appuie pas sur une théorie de la philosophie de l’action. Au contraire, son approche est beaucoup plus intuitive et empirique. À un journaliste qui lui demandait qu’elle était l’influence de C. Greenberg dans son œuvre, Steven Parrino déclara: Greenbergg est mort! Et ses idées sont mortes il y a quarante ans!
C’est dans son quotidien que l’artiste puise ses références et son travail est un reflet de celui-ci. Si cet artiste se crée une sémiologie des couleurs, elle ne provient pas des recherches de Göette, mais des rues de New York: le bleu des voitures de police, le rouge des feux routiers, l’orange des panneaux de signalisation des travaux. Son discours est beaucoup plus intuitif que théorique, il est plus proche des sensations que de la raison, ou de l’acte que de la parole. Et s’il faut absolument rapprocher cette attitude d’un mouvement, c’est sûrement à celui du Pop Art qu’il faut penser. Un autre exemple de l’influence de son quotidien est celui des photos de son plan de travail: les coupures ou les photos de presse et autres objets hétéroclites qui s’entassent tout en se renouvelant représentent ce quotidien avec les intérêts et donc les sensibilités de l’artiste. Ces quatre photos s’offrent au spectateur comme des collages dans lesquels on peut faire entrer en réactions les photos dans la photo par exemple – l’important étant d’actionner cet univers, de ne pas le laisser inerte ou figé.
Finalement, à celui qui prétend que l’important lorsque l’on tombe n’est pas la chute, mais l’atterrissage; Steven Parrino propose l’inverse: l’important est bien la chute. La sensation de vitesse sur un skate à cinq centimètres de la route est plus enivrante que l’atterrissage à venir sur le trottoir. Et même si ce trottoir s’approche désespérément de plus en plus vite, ne vaut-il pas mieux essayer de crier dans son vol plané avec une poussée d’adrénaline I don’t care! I don’t care! avant de terminer allonger inerte sur le bitume? Au moins ça change du traditionnel Aaaaaaaaaaaa!
Marc-Olivier Wahler
Vernissage le 2 mai 1998
Exposition du 3 mai au 5 juillet 1998
vue d’exposition, 1998
vue d’exposition, 1998
vue d’exposition, 1998
CAN Centre d’art Neuchâtel, Steven Parrino