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En collaboration avec l’espace La Plage
C’est un adjectif désuet, une exclamation que l’on attribuerait volontiers au 18ème siècle finissant, au 19ème romantique. La sensibilité d’alors, marquée par le sublime dépaysement de glaciers aux « gouffres effrayants », était à mille lieues de notre culte de la vitesse. Le Progrès, qui se vivait au rythme de saisons indéchiffrables, donnait à chaque avancée le poids d’un événement : Flaubert, puis Proust, changeaient la littérature, Manet la peinture…
Mais notre corps s’est modifié, et avec lui notre système nerveux : de paralysé qu’il fut au contact grandiose de quelque densité nouvelle de l’être, c’est avec aisance qu’il surfe aujourd’hui sur la crête des modes. L’art, en retard sur la publicité, est devenu « intéressant ».
Si le fonctionnement interne de l’individu s’est toujours opéré en réseau, le concept renvoit à présent au flux du monde : le tic-tac de l’horloge a cédé sa place au circuit de Formule 1. D’accélérateur de Progrès qu’il fut jadis, l’accident hante à présent nos consciences fragiles : on redoute les hackers, les virus. Les drogues quant à elles, perfides actrices du réseau intime, semblent les seules en mesure aujourd’hui, avec le saut à l’élastique, d’entretenir le leurre de la grande aventure à portée de main : sons, couleurs, parfums…sont certes redistribués, mais l’intensité de cet effet a beau être « stupéfiant », il est sans lendemain.
Francis Baudevin, qui ne laisse subsister d’une boite de médicaments que le squelette du signe, perturbe la reconnaissance du référent. Fabrizio Giannini, dont les aléatoires compositions donnent une consistance esthétique au piratage virtuel et aux pulsions télévisuelles, fait étalage de nos journées vides. Le dandysme ironique d’lgnazio Bettua, qui se joue à la fois du carrosse et de la citrouille, exacerbe la fonction de nos objets les plus ordinaires, ou les en détourne avec une insolente économie de moyens. Pendant que Francisco Da Mata réduit le sérieux rapport Pelletier en bribes de mots et en chancelantes visions, Sébastian Muniz exerce un regard pervers ou nostalgique sur nos corps réifiés. Avec « Echo », Alex Silber fait revivre la puissance de Wagner et la solitude d’Hölderlin. L’enjeu de l’exposition : incarner un mot dont l’actualité dans les rapports de police ne suffit à combler la disparition dans notre rapport au visible.
L’espace « La Plage », qui ne compte à ce jour que quatre expositions, est un lieu rêvé, d’audace et d’expérimentation, pour fantasmer l’art de demain. Visant un public jeune, déjà familier de ce qui se déroule entre ses murs, « La Plage » base son exposition à venir sur la polysémie d’un mot : « Stupéfiant ».
Vernissage le 10 février 2001 dès 17 heures
Espace La Plage, rue des Sablons 46, 2000 Neuchâtel
Stupéfiant, carton d’exposition, 2001
CAN Centre d’art Neuchâtel, Stupéfiant