Artiste Artiste
Projet Projet
Quand Pablo Picasso termina L’Angelus de Millet, que Léonard de Vinci mit un terme aux Ménines de Vélasquez, ils poussèrent l’un et l’autre un cri si violent que la toile en frémit. Les os de leurs squelettes craquèrent, leurs oreilles bourdonnèrent, captant les fréquences d’une musique qui n’existait pas. Un vent de peur traversa leur cerveau, puis ce fut l’amnésie. Ils oublièrent donc immédiatement qu’ils venaient de réaliser le chef-d’œuvre d’un autre.
Mais les images restèrent intactes, et les traces de lutte aussi. Tous les artistes ont poussé un jour ou l’autre le même cri. Ont eu la même révélation. Mais ils ne s’en souviennent pas. La matérialité de l’art, condition de sa survie à travers les siècles, n’est autre que la forme de cette terreur. Un fantôme s’introduit en vous, effectue pour vous les gestes dont l’œuvre a besoin pour advenir, puis vous abandonne sans prévenir. Comme une vieille chaussette.
L’art n’est assurément qu’une longue histoire de fantômes, destinée aux fantômes. C’est donc une erreur de croire qu’ils vous concerne. Vous n’en percevez que l’enveloppe, l’emballage. D’ailleurs, l’art est à votre image. Il est comme la chair recouvrant le squelette qui vit en vous. Et qui vivra plus longtemps que vous, sans identité, sans nom.
Pour When fears become form, Virginie Barré (en réalité Nicolas Poussin) présente des travaux jouant sur des souvenirs cinématographiques angoissants et des fascinations culturelles. Les travaux d’Olaf Breuning (en réalité Conrad Witz) évoquent les hallucinations hypnagogiques de l’enfant terrorisé dans sa chambre, qui voit des monstres partout. Vidya Gastaldon (en réalité Antoine Watteau) réalise des dessins étranges, envoûtants, chargés de symboles archaïques mêlés à d’autres plus actuels. L’intervention murale d’Eric Emery (en réalité bientôt Urs Lüthi) ne fait plus peur à Ayrton Senna qui aura payé l’original de sa vie. Andrea Heller et Paul Harper (véritables identités non retrouvées) vous feront entendre la musique des morts. Cela se passe dans un juke box et ce sont des airs que vous connaissez. Dans ses films, c’est Ryan McNamara (en réalité William Blake) lui-même qui a peur, car il est confronté à de terribles créatures. Léopold Rabus (en réalité la poétesse Marceline Desbordes-Valmore) se souvient de ses peurs d’enfant, de celles qu’ils n’a pas eues, de celles qu’il a cru avoir. Susanne Schuda (véritable identité non retrouvée mais il pourrait s’agir, selon les spécialistes, de Thomas Gainsborough) présente un film d’animation aux personnages étranges, sans épaisseur, participant à un débat télévisé sur le thème de la peur. Pierre Vadi (en réalité Luigi Russolo), quant à lui, présente une œuvre qui donne forme à une peur classique, véhiculée par le film d’horreur: être découpé par une tronçonneuse.
Et vous, quelle est la forme de votre peur? L’œuvre de qui êtes-vous en train de réaliser?
Gauthier Huber
Vernissage le 13 juin 2008
Exposition du 14 juin au 12 juillet 2008
Équipe du CAN:
Arthur de Pury, Marie Villemin, Massimiliano Baldassarri
CAN Centre d’art Neuchâtel, When Fears Become Form