Projet Projet

À la Recherche de la Bohème Perdue

avec le d.i.v.o. Institute o.s.

Ce projet fait suite à une proposition du D.I.V.O. Institute et sera réalisé en collaboration étroite entre ce dernier et le CAN. Nous proposons une réflexion sur les fortunes diverses que la contre-culture a connue en République tchèque et en Suisse depuis 1989. À la Recherche de la Bohème Perdue veut développer une recherche expérimentale sur cette thématique tout en provoquant de nombreux échanges et rencontres entre les scènes artistiques de ces deux pays.

May – July 2013

Start of Exhibition in CAN Neuchâtel: May 24th 2013 (2nd event/opening at the tents place: May 29th)

Traveling Institution: May 31st until June 23rd 2013 Start of Exhibition in NTK, Prague: September 2nd 2013

Departure of mobile institution: May 30th Build up in Zürich: May 31st

Action in Zürich for 3 days: May 31st until June 2nd

Build up of tents in Ostrava: June 5th

Action in Ostrava & opening of a new artspace: June 6th – 14th opening of the artspace: June 14th

Build up in Wroclaw: June 16th

Action in Wroclaw for 2 days: June 16th until June 18th

Build up in Kolin: June 19th Research in Kolin: June 20th – 22nd Final Party: June 22nd

September 2013

Opening in Prague: September 2nd

End of show in Prague at the NTK Gallery: September 11th

Revenir sur l’évolution des scènes alternatives de Suisse et de République tchèque depuis la chute du mur en développant un projet d’échange, c’est d’abord se demander quel type de regard chacun des protagonistes peut porter sur l’autre aujourd’hui. Il s’agira donc pour nous de travailler avec des artistes et des institutions d’un des «ex-pays de l’Est», ce former east qui définit en un creux anachronique une région selon un critère qui n’existe plus. Ce point de vue est formé depuis un Ouest dont on omet généralement de mentionner le préfixe, car s’il y a un former east, c’est qu’il devrait y avoir un former west. Cette notion d’Est fantomatique persiste-t-elle uniquement en raison de notre incapacité à définir de nouveaux termes susceptibles de saisir le présent? Ou faut-il admettre un besoin nostalgique de se référer indirectement à la force identitaire d’idéologies disparues? Ce qu’il est convenu d’appeler l’effondrement du bloc soviétique, dénote d’abord la disparition d’une séparation politique qui permettait aux deux bords de se refléter dans la construction idéologique de l’autre. Cette représentation déformante à l’extrême empêchait certes tout échange objectivant, mais la disparition des rapports antagonistes a ouvert un vide commun que le cynisme postmoderne ne peut combler, et qui laisse finalement une grande place à la nostalgie et à l’exotisme, qui eux-mêmes semblent réifier le présent de ces «ex», comme celui de la contre-culture. Et tant que nous n’aurons pas été capable d’inventer quelque chose de plus positif, ou constructif, que le postmodernisme, nous devrons assumer notre part de nostalgie.

Assumer un brin de nostalgie, passe encore, mais devoir révéler son exotisme aujourd’hui, voilà qui semble plus périlleux. Cela revient à entériner un rapport de domination hérité du colonialisme et de l’orientalisme, tout en situant sa propre position dans un centre immuable. Mais vouloir nier cet exotisme en le maquillant derrière un discours néo-humaniste bien pensant ne peut que redoubler notre aveuglement et ne saurait offrir le décentrement désiré. Or c’est peut-être plus la position et la direction de cet exotisme qu’il faut critiquer que l’exotisme lui-même. Porter un regard exotique sur les «ex-pays de l’Est» depuis les «ex-pays de l’Ouest» alors que ces deux entités sont partiellement unifiées pose la question du centre de façon particulièrement biaisée. Il s’agit de définir cet autre en se référant au temps où il n’était pas identique, à l’époque où il était exotique, c’est-à-dire cette période d’un passé proche qui diffère si fondamentalement de ce que l’on vit aujourd’hui que l’exotisme véritable est tourné vers ce que nous étions, et non pas vers ce qu’ils sont. Il semble ainsi que nous sommes face à ce que l’on pourrait appeler de l’endo-exotisme anachronique, qui n’est pas sans rappeler ce que d’autres ont nommé «l’exotisme intérieur» Rappelons que selon le principe de l’existence phénoménale, tout est représentation, et que l’on se conçoit donc nécessairement autre que l’on est. L’identification à soi-même devient la condition même de l’altérité, et donc d’une forme enrichie de l’exotisme. Si notre discours se construit sur une notion géographique dépassée, c’est dans le but de nous tendre le miroir d’un exotisme propre à chacun.

La contre-culture tchécoslovaque d’avant 1989 offrait une sorte de jeu de reflets dédoublé et fascinant au milieu alternatif de l’ouest (un premier reflet dans le miroir du mur, et un second dans celui de la culture dominante – ou plutôt de chacune des deux cultures dominantes). Sa force dans notre vision tenait sans doute beaucoup à sa présence inaccessible, sorte de présence-absence qui n’est pas sans rappeler un concept fondamental de notre rapport à l’image. Est-on contraint aujourd’hui de faire un constat d’absence de l’absence?

Il nous semble que le meilleur moyen de se lancer dans cette recherche nostalgique du reflet perdu, la tentative de passer de l’autre côté d’un miroir disparu, reste sans doute le voyage terrestre, sorte de quête utopique, dont on ne saurait certainement retrouver la consistance au moyen du non-voyage que constitue le transport aérien. Ainsi le CAN et le D.I.V.O Institute envisagent d’affréter un bus dans lequel prendront place l’équipe du centre ainsi que des artistes invités. Le voyage exploratoire permettra de développer cette recherche et chaque halte sera l’occasion d’une présentation publique de son état. Il s’agit donc de prendre la route qui mène à la Bohême en faisant une référence explicite au mouvement bohème (ainsi nommée en référence aux «bohémiens»), mouvement de contre-culture dont les influences ont été nombreuses et profondes.

Cette bohème est née d’un rejet du romantisme considéré comme une émanation de la culture bourgeoise. Notons au passage qu’une première contradiction apparaît alors dans les références historiques de notre projet: rechercher une bohème perdue au moyen d’un voyage ne semble pas exempt de romantisme (romantisme qui rappelons-le s’est entre autre développer par les voyages des grands touristes du XVIIIe). Une des différences notables entre ces deux types de voyageurs (les bohémiens et les grands touristes) était bien sûr économique, et il n’est pas évident que notre périple culturel se situe du côté de la bohème…

La bohème française a fortement influencé des auteurs tels que Hermann Hesse qui se lance dans une recherche d’un ailleurs qu’il tente déjà de trouver entre l’Orient et l’Occident. En suivant différentes branches d’influences reconstruites par les historiens, la bohème serait une des sources du dadaïsme, une autre branche passant par Hesse, mènerait au mouvement des Wandervogel pour ensuite passer aux États-Unis et à la Beat Generation, aboutir à des écrivains comme William S. Burroughs ou, un peu plus tard, Philip K. Dick. L’ailleurs n’est alors plus le même, il n’est plus situé entre deux cultures, entre deux systèmes politiques ou entre deux régions. La recherche de l’ailleurs se situe dans l’Interzone, un intermédiaire entre fiction et réalité.

Qu’est devenu cet ailleurs bohémien dans le milieu de l’art contemporain aujourd’hui? On est évidemment tenté de le chercher dans les structures alternatives ou indépendantes, dans les off spaces qui se réclament de la contre-culture et qui foisonnent en Suisse. Pour revenir sur la distinction économique que l’on faisait plus haut, il existe certes une grande différence entre les budgets d’une grande institution muséale et celui d’un off space, pourtant ces derniers sont aujourd’hui souvent financés par des fondations tels que Nestlé pour l’Art. Ce grand écart trouve sans doute son plus bel écho dans le néologisme «bobo», contraction aux relents schizophréniques de «bourgeois» et de «bohème». Dans cette perspective, il semble que le reflet que se renvoie la contre-culture et la culture bourgeoise, n’est pas sans rapport avec ce regard croisé entre former west et former east. Les différences existent bien, mais les critères qui les désignent ne sont plus vraiment d’actualité. L’institutionnalisation de l’art contemporain englobe de nombreux aspects de la contre-culture qu’il engendre, et le discours produits par ce monstre à deux têtes est souvent identique, quelque soit la bouche dont il sort: l’art contemporain y est toujours «critique» et «expérimental».

En partant à la recherche de la bohème perdue, nous entendons réfléchir à ces différentes contradictions, en assumant notre part d’endo-exotisme, de nostalgie, voir du caractère bobo de notre activité. De fait, la première et la troisième phase du projet exhiberont une de ces contradictions en confrontant une exposition de type institutionnel avec un événement jouant sur les codes admis de la contre-culture. L’espoir utopique du projet consiste à créer un choc entre les deux, choc qui devrait permettre l’émergence d’une faille permettant d’accéder à une autre interzone située en-deçà de nos contradictions.

L’équipe du CAN et Mark Divo

Avec le généreux soutien de:
Pro Helvetia
Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme d’échange avec l’Europe centrale et l’Europe de l’est, initié par le bureau de liaison de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia à Varsovie.

 

Équipe du CAN:
Arthur de Pury, Marie Villemin, Martin Widmer, Marie Léa Zwahlen, Julian Thompson